Alors que j'examinais le petit garçons, je le vois redresser la tête et se yeux pétiller.
Je t'ai fais mal Jules ?
Il me fait non de la tête. Ce n'est qu'en entendant la voix de sa maman que je comprends sa réaction. J'étais tellement concentrée que je n'ai pas entendu ses talons claquer dans le couloir et la porte grincer. C'est un vieille habitude, quand je travaille, je me coupe du monde.
Oh, bonjour Madame Gibson, je suis Teddy Altman, le nouveau médecin de Jules. J'ai presque fini de l'examiner. Son coeur est normal, son asthme n'a pas évolué. Il ne me reste qu'à vérifier sa tension. Je lui ai aussi prescris des médicaments en plus, pour qu'il retrouve l’appétit. C'est le plus important pour l'instant, il faut qu'il mange.

En cherchant le tensiomètre, je regarde la mère et son fils. Un image si attendrissante, que je n'avais plus l'habitude de voir en Irak. Sa main caresse les cheveux du petit Jules, et elle dépose un léger baiser sur son front.

Voilà, j'ai fini, sa tension est correcte. Si vous avez des questions je suis disponible !

Je vois l'inquiétude se lire dans les yeux de la jeune femme, je remarque aussi les cernes qui sont dessinées sous ses yeux. Elle doit être inquiète, pour Jules et son futur bébé. Et comme toutes les mères qui ont un enfant malade, elle est surement rongée par les remords. Je suis persuadée qu'on lui a déjà dit qu'elle n'y était pour rien, et qu'elle faisait du mieux qu'elle pouvait. Je suis sure que son petit garçon n'aurait pas pu mieux tomber. Leur relation est tellement fusionnelle, et il lui ressemble tant... Je les envie égoïstement, je n'ai pas et n'aurai peut être jamais une telle relation.

Madame Gibson vous faites du mieux que vous pouvez. Trouver des solutions médicales, c'est mon métier, c'est mon rôle. Etre là, aimer votre fils et le choyer, c'est le vôtre. Vous êtes une bonne mère Ellen.

Je ne sais pas pourquoi je l'ai appelée par son prénom, ça ne m'arrive jamais. Mais je sens une certaine affinité avec cette femme, elle est spéciale. Elle a une relation unique avec son fils.

En ce qui concerne votre bébé, le cancer n'est pas héréditaire. En revanche, je ne peux pas vous garantir que le bébé n'en aura pas, il aura simplement le même risque que tous les autres enfants. Mais elle n'aura pas de "prédispositions" particulières, ni une attitude à adopter.

Je reste encore quelques minutes dans la pièce, le temps de ranger mon matériel.
Avant de sortir, je tend une sucette à la fraise à Jules :
Tiens, au cas où l'envie te prends ! Je crois que celle ci colore la langue, si tu fais une grimace à maman, elle verra ta langue toute rouge ! Je repasse te voir pour te souhaiter bonne nuit avant de partir, ça marche ?

Il murmure un oui, et me fait un grand sourire. Il est adorable. Si je n'avais pas été attirée par la Cardio', j'aurai surement été pédiatre.

Je tourne les talons et ferme la porte doucement . Je m'arrête au bureau des infirmières et remplis le dossier de Jules et note ses constantes. Je discute un instant avec l'infirmière de garde, avec qui j'ai déjà sympathisé un peu plus tôt dans la journée. Au moment où j'allais quitter l'office, je sens une main sur mon épaule.

Un café ? Avec plaisir ! J'ai encore du temps avant ma prochaine intervention. Par contre, comme je suis de garde, je ne peux pas quitter l’hôpital, on va devoir se rabattre sur la cafétéria... J'espère que ça ne vous embête pas trop.

Elle se dirige vers les escaliers, sans aucune hésitation. Elle connait bien l'hôpital, trop bien. Sur le chemin elle ne dis pas un mot, son stress est presque perceptible.
Je commande un chocolat, et a ma grande surprise, elle aussi. Je ne peux m'empêcher de lui faire remarquer :

Un chocolat chaud, vous aussi ? Je suis heureuse de constater que je ne suis pas la seule a avoir gardé mes habitudes d'enfant.

Nous nous installons à une table près de la fenêtre.

Avant tout de chose, pouvez vous me faire une faveur ? Appelez moi Teddy, je n'ai pas l'habitude de cette distance avec les gens... On m'a appelée Dr Altman toute la journée, et j'ai du mal à me reconnaître. Ca passera, je pense. J'espère.

Je la vois me sourire légèrement, et ça me fait plaisir. On sent qu'elle n'a pas la vie facile, qu'elle est angoissée. Ses mains se crispent autour de sa tasse, la tension est à couper au couteau.

Je ne sais pas trop quoi lui répondre, j'hésite d'abord à l'adresser à un psy, mais je me ravise, pensant qu'elle avait déjà du y penser mais qu'elle ne préférait pas. Elle doit me faire confiance, je sais que je ne suis pas la seule médecin de son fils, et pourtant, elle me pose des questions aussi personnelles, lors de notre première rencontre. Je me promet alors de faire ce que je peux pour l'aider, que ça soit pour les greffes de Jules, la naissance de sa fille ou tout autre problème dont elle voudrait me faire part.

Ellen, je peux vous appeler Ellen ? , d'après le dossier de Jules, sa maladie s'est déclarée il y un peu plus de 7 mois, s'est-il passé quelque chose de significatif dans votre vie et celle de votre fils ? Enfin, si ce n'est pas trop personnel bien sur, je ne voudrai rien vous imposer. Souvent, ce qui laisse le plus de séquelles sont les violences physiques. La leucémie étant souvent contractée entre 2 et 5 ans, un évènement aurait pu accentuer les risques.

Je vois les yeux d'Ellen s'embuer, je sens que je fais resurgir des souvenirs délicats.

Bien sur, si vous ne voulez pas m'en parler je comprends tout à fait, mais juste sachez que si vous avez besoin de quelqu'un je suis disponible . D'ailleurs voilà mon numéro personnel, au cas où vous en auriez besoin un jour.

Son regard en disait long, je pense qu'elle veut que je l'aide mais qu'elle n'a pas le force et le courage de me révéler son passé que je suppose plutôt lourd.
Excusez moi, je vais le chercher, j'en ai pour une minute.
Je me lève et sens qu'elle me suit du regard, elle ne m'a pas arrêtée, j'en déduis qu'elle désire que j'aille le chercher. Je m'arrête au bureau des infirmières et demande le dossier médical d'Ellen Gibson. Aussitôt le dossier entre mes mains, je l'ouvre. Je ne suis pas de nature curieuse, mais il le faut. Je lis les atrocités qui lui sont arrivées, je comprends mieux certaines de ses attitudes, celles que nous avons en commun. En retournant vers la cafétéria je sens les larmes me monter aux yeux, et ma gorge se serrer. Mes vieux démons reviennent me hanter. D'un revers de main, j'essuie les larmes qui perlent désormais sur les joues et tente de me calmer avant de retourner dans la cafétéria.
Je me rassois à notre table, elle va savoir que j'ai pleuré, c'est évident.

Donc, Ellen... Vous voulez qu'on commence par où?

Oh Ellen, si vous saviez tout ce qu'on a en commun... Vous seriez aussi étonnée que je ne l'ai été.

Je la vois fixer mes yeux, ils doivent être encore rougis et mon eye-liner a du couler.
Je sors un mouchoir et estompe les marques sur les pommettes pendant que je l'écoute. Je prend une grande respiration, et essaie de dégager ma gorge au maximum avant de parler, j'ai encore l'estomac noué.
J'ai remarqué le haut de votre cicatrice, sur votre poignet. Et votre façon de tirer systématiquement le manche de votre pull sur votre main. J'ai vu les regards fuyant que vous lancez autour de vous quand vous quittez une pièce. J'ai compris pourquoi vous prenez l'escalier alors que l'ascenseur est disponible, et comment vous évitez les endroits fermés. J'ai perçu vos allusions à votre famille. Je sais.
Ma franchise me joue parfois des tours, mais je ne pouvais que parler.
Une victime... Ce mot résonne dans ma tête et me blesse comme si un poignard me transperçait le coeur. J'ai été une victime, je ne le suis plus.
J'inspire à fond à nouveau.

J'avais 17 ans, et il était le nouveau mari de ma mère. Elle ne voyait en lui que l'homme magnifique et respectable qu'il s'efforçait de montrer en société. Moi, je voyais le soûlard qui frappait ma petite soeur. Alors un jour, j'ai protesté je lui ai dis ses quatre vérités. Il n'a visiblement pas apprécié. Il a profité d'une après-midi où ma mère et ma soeur étaient parties rendre visite à un amie, dans une ville voisine, pour s'en prendre à moi. Il m'a tiré dans sa chambre et a essayé de me... violer. J'ai riposté, et l'ai giflé. Je serre les dents pour ne pas pleurer, je n'ai jamais parlé à personne de cet épisode de ma vie. A personne. Il m'a poussé contre le bureau, je suis mal retombée et me suis ouvert la tête. Ma petite soeur m'a retrouvé quelques heures plus tard, inconsciente, dans une mare de sang. C'est pour ça que j'ai fait ma médecine à Los Angeles, loin de Washington. Et c'est pour ça que je suis allée en Irak.

Nous sommes sur la même longueur d'ondes, les mots en deviennent superflus. Pour la première fois en 18 ans, j'ai l'impression que quelqu'un me comprend. Et pour la première fois en 18 ans quelqu'un m'écoute. Bien sur, j'ai eu des amis, mais je n'ai jamais senti que je pouvais me confier à eux, aucun d'entre eux n'aurait pu savoir ce que c'est. Ils m'auraient au mieux pris en pitié, et au pire, jugée sur ma famille. Alors je me suis tu.

J'ai fais l'Irak. J'ai fais l'Irak, et c'était horrible, on ne peux s'imaginer que si on y a déjà été. Je fais encore des cauchemars. C'était atroce, mais au moins, j'avais l'impression d'être utile à quelqu'un, de pouvoir utiliser mon expérience pour les autres, en gardant le secret.

J'ai été à la guerre pour oublier. Mais on n'oublie pas, on n'oublie jamais. C'est ça qu'on ne vous dit pas en thérapie, on peut pardonner, on peut outre passer, mais on ne peut pas oublier.

Mon père biologique, je ne l'ai jamais connu. Et je n'ai jamais cherché à le connaître. On était bien, maman Emily et moi. On avait besoin de personne. Je le savais, mais pas maman. Après le... truc, j'en ai longtemps voulu à ma mère de ne pas avoir réagi avant, de ne rien avoir vu. Mais je me suis fais une raison, et on s'est réconciliées. Quand à Lui, Pete, personne ne l'a jamais revu. Et je n'ai même pas porté plainte, inutile.